Luc Arrondel*, Richard Duhautois, Cédric Zimmer
Cet article a été initialement publié dans l’édition d’octobre 2020 des 5 articles…en 5 minutes.
Le rôle du PDG sur la performance de son entreprise a été largement étudié dans la littérature, mais les conclusions divergent : prépondérant dans certaines entreprises, négligeables dans d’autres. Dans le monde du ballon rond, analyser le « leadership » revient à étudier le rôle d’un entraîneur sur les résultats de son équipe. Comme pour les PDG, les réponses divergent sur la question. Kuper et Szymanski (1) concluent que les entraîneurs ont une faible influence sur la performance des clubs : « Ils apportent si peu de chose qu’il est tentant de se dire qu’ils pourraient être aussi bien remplacés par des secrétaires, ou par le président, voire un ours en peluche, sans que cela ne change le classement du club… ». Cette conclusion s’appuie sur l’efficience du marché du travail des joueurs qui veut que les salaires des footballeurs expliquent la plus grande partie des résultats du club : l’entraîneur n’aurait alors qu’un impact résiduel. Toujours selon ces deux auteurs, l’image de l’entraîneur providentiel serait la version footballistique de la « théorie du grand homme » que beaucoup d’historiens réfutent. Inversement, Anderson et Sally (2), se basant sur une littérature plus récente sur les PDG, estiment que même si la corrélation entre les résultats d’un club et les salaires versés aux joueurs est importante, le rôle du coach serait loin d’être négligeable.
Une manière de tester l’hypothèse du « leadership » de l’entraîneur consiste à mesurer l’impact d’un changement de coach sur les résultats d’une équipe. Les propriétaires des clubs licencient généralement l’entraîneur à la suite de mauvais résultats. Ces licenciements ont été de plus en plus fréquents ces dix dernières années, tout particulièrement en Europe. Deux raisons principales l’expliquent : d’une part, remobiliser les joueurs, initier une nouvelle stratégie et/ou des changements dans l’équipe ; d’autre part, créer un choc psychologique chez les joueurs pour accroître leur motivation à gagner. Mais d’autres raisons sont possibles. Par exemple, selon la théorie du « bouc émissaire », licencier un entraîneur peut aussi servir les intérêts des propriétaires du club : limoger le coach leur permet à la fois d’apaiser la colère des supporters et des actionnaires en cas de contre-performance de leur équipe et ainsi d’en rejeter la faute sur l’entraineur.
La littérature empirique sur l’impact des changements d’entraineurs sur la performance des clubs est abondante et la majorité des études concluent à l’absence d’effets du limogeage du coach. La principale difficulté pour tester cette hypothèse à partir des variables de performance est d’ordre économétrique : il faut prendre en compte à la fois le phénomène de « régression vers la moyenne » (il est plus facile de remonter au classement après des mauvais résultats) et le problème d’endogénéité : la décision de licencier un entraîneur n’est pas aléatoire mais est prise à la suite de contre-performances.
Dans cet article, Luc Arrondel, Richard Duhautois et Cédric Zimmer étudient l’impact des changements d’entraîneurs en cours de saison sur la performance des clubs de Ligue 1 en France sur la période 1998-2018. Sur ces 20 saisons, 103 entraîneurs ont été licenciés en cours de championnat, soit 5,2 en moyenne par années. Les clubs qui changent d’entraîneur présentent des caractéristiques différentes par rapport aux clubs qui n’en changent pas. Certaines de ces caractéristiques peuvent être observées (le nombre de points avant licenciement, les caractéristiques de l’entraîneur, etc.) alors que d’autres sont inobservables (pression des supporters et des actionnaires, etc.). La méthode empirique utilisée tient compte des différences observables entre clubs (« exact matching ») et corrige des caractéristiques inobservables. L’objectif est alors d’identifier la relation causale : l’amélioration des résultats de l’équipe est-elle due au changement de coach ou simplement au fait que les résultats étaient mauvais avant le licenciement ?
Leur étude montre qu’en général un changement d’entraîneur a un effet négligeable sur la performance de l’équipe, sauf à court terme : il existe un effet positif uniquement sur les résultats des cinq matchs suivant le licenciement. Il ne s’agit donc que d’un effet de choc à court terme, non à long terme puisque sur les dix matchs qui suivent le changement de coach, les effets disparaissent. De plus, en décomposant l’analyse entre matchs à domicile et rencontres à l’extérieur, ils observent que les effets ne sont positifs que pour les matchs à domicile. Cette amélioration des résultats s’expliquerait alors davantage par la pression exercée par les supporters plutôt que par les différences de compétences entre l’ancien et le nouvel entraineur.
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(1) Kuper S. & Szymanski, S. (2018), Soccernomics, Nation Books.
(2) Anderson, C. & Sally, D. (2014). The Numbers Game : Why EverythingYou Know About Soccer Is Wrong, New York : Viking/Penguin
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Références
Titre original de l’article : Within-season dismissals of football managers : evidence from the French Ligue 1
Publié dans : PSE Working Paper n°2020-11
Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02505315/
* Chercheur PSE
Crédits visuel : Shutterstock – Sergey Kuznecov