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Giorgia Menta, Conchita d’Ambrosio, Andrew Clark*, Simone Ghislandi et Anthony Lepinteur

Cet article a été initialement publié dans l’édition d’avril 2021 des 5 articles…en 5 minutes.

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La prévalence des troubles de santé mentale est en constante augmentation depuis deux décennies, touchant aujourd’hui plus de 20% de la population du Royaume-Uni et des États-Unis. La dépression est un de ces troubles les plus communs : les troubles de dépression ‘majeurs’ sont de nos jours le plus grand contributeur aux années d’espérance de vie perdues pour cause d’invalidité. La dépression a bien évidemment des effets importants sur la qualité de vie de ceux qui en souffrent. Cependant, elle peut également affecter les personnes autour des malades, notablement les membres de leur famille.

Dans cette étude, Giorgia Menta, Anthony Lepinteur, Andrew E. Clark, Simone Ghislandi et Conchita D’Ambrosio se demandent dans quelle mesure la dépression des mères affecte le développement scolaire et socio-émotionnel de leurs enfants. Bien qu’il soit d’une grande importance politique, l’identification du lien causal entre la santé mentale des parents et le développement des enfants est en général difficile. Par exemple, de mauvais résultats scolaires ou des mauvais comportements de l’enfant peuvent être eux-mêmes sources de dépression maternelle. Les variables environnementales (telles que la qualité des services publics locaux ou la criminalité) peuvent également contribuer simultanément à la dépression maternelle et au développement des enfants. Une solution pouvant clarifier les liens causaux se trouve dans les gènes : la loterie génétique offre un cadre expérimental idéal pour étudier la dépression. Puisque l’ADN d’un individu peut être considéré comme un tirage aléatoire de l’ADN de ses parents, certaines personnes ont une propension plus forte à souffrir de dépression par pur hasard. Les recherches en biologie moléculaire nous apprennent quels sont les variants génétiques qui sont systématiquement associés à la dépression. A partir de ces variants, un score, appelé ‘score polygénique’ (‘polygenic score’ ou PGS), visant à capturer les risques génétiques à la dépression peut être calculé à partir de l’ADN d’un individu.

Les auteurs traitent la question des conséquences de la dépression maternelle sur le développement du capital humain des enfants, en ayant recours à des informations génétiques et socioéconomiques sur des paires de mères et d’enfants venant d’une étude de cohorte basée sur environ 14 000 femmes enceintes venant du Royaume-Uni au début des années 1990. Ces mères, et leur enfant, ont depuis été interviewés presque tous les ans. Plus particulièrement, les mères ont reporté sept fois entre la naissance et le neuvième anniversaire de leur enfant si elles se sont senties déprimées depuis la dernière interview ; presque 50% d’entre elles ont répondu au moins une fois ‘Oui’. Le PGS pour la dépression calculé à partir de l’ADN de chaque mère isole une partie de la dépression maternelle qui est vraisemblablement aléatoire. L’effet de cette dépression exogène vécue par la mère durant la première décennie de l’enfant peut ensuite être reliée à des mesures de développement cognitif (notes à des examens nationaux) et non-cognitif (scores psychométriques synthétisant les troubles du comportement et la sante émotionnelle) de l’enfant durant l’adolescence. Il est montré qu’un épisode supplémentaire de dépression maternelle a des effets négatifs persistant sur l’accumulation de capital humain de l’enfant. Ces effets sont larges : ils sont d’environ 20% d’une déviation standard pour les compétences cognitives et de 40% pour les compétences non-cognitives. Cet effet ne reflète pas le patrimoine génétique de l’enfant, puisque les PGS pour la dépression et les compétences cognitives et non-cognitives sont gardés constants. Cet effet n’est pas non plus causé par d’autres caractéristiques maternelles potentiellement corrélées avec le PGS pour la dépression de la mère.

Une réduction du nombre d’épisodes de dépression maternelle ne bénéficiera donc pas uniquement aux mères, mais également au développement du capital humain de leurs enfants durant l’adolescence. Sur le long-terme, de meilleures capacités cognitives and non-cognitives acquises pendant l’enfance sont connues pour avoir des conséquences positives dans la vie adulte, comme un meilleur revenu et une probabilité plus faible d’être au chômage.

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Références

Titre original de l’article : Maternal depression and child human capital : A genetic instrumental-variable approach

Publié dans : PSE Working Paper n°2021-10

Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/PJSE_WP/halshs-03157270

Crédits visuel : Halfpoint – Shutterstock

* Chercheur PSE