Yan Ren, Earl Chase, Tania d’Almeida, Julien Allègre, Paule Latino-Martel, Valérie Deschamps, Pierre Arwidson, Fabrice Etilé*, Serge Hercberg, Mathilde Touvier, Chantal Julia
Cet article a été initialement publié dans l’édition d’octobre 2021 des 5 articles…en 5 minutes.
Bien que la consommation d’alcool ait diminué de 50% en France depuis la Seconde Guerre mondiale, elle reste au cœur de la culture et des pratiques alimentaires françaises. La France se situe actuellement au sixième rang des pays de l’OCDE pour la consommation totale d’alcool par habitant. L’alcool est une cause majeure de morbidité et de mortalité, par maladies, accidents et violences conduisant à des décès précoces. La consommation d’alcool a causé 41 000 décès en France en 2015, soit 7 % de la mortalité totale. La consommation d’alcool était également responsable d’une grande partie de la morbidité, en particulier du cancer, avec 7,9 % des nouveaux cas de cancer attribuables en 2015 à l’alcool (1). En 2018, une conférence d’experts rassemblés sous l’égide de Santé Publique France et l’Institut National du Cancer a mis à jour les repères de consommation d’alcool. La recommandation fixe à 10 verres standards d’alcool le maximum hebdomadaire à ne pas dépasser, à 2 verres standards le maximum quotidien, et plusieurs jours d’abstinence par semaine. Quels seraient les bénéfices de santé publique d’une réduction de la consommation d’alcool des Français ?
Dans une étude épidémiologique menée avec des chercheurs de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Fabrice Etile et ses co-auteurs construisent un modèle évaluant la baisse de l’incidence des cancers qui serait observée si l’ensemble des Français respectait les repères de consommation. Ils simulent l’impact d’un changement de la consommation d’alcool sur le nombre de nouveaux cas de cancer en France sur une période de 36 ans (2014-2050), en tenant compte des effets spécifiques de la consommation sur chaque type de cancer. Les auteurs calibrent le modèle à partir de données épidémiologiques sur les risques de l’alcool et la démographie de la population française. Ils montrent qu’une adhésion de l’ensemble de la population aux recommandations permettrait de prévenir environ 15 952 cas de cancer par an (2025-2050), avec un fort effet de genre lié à la surconsommation masculine (soit 12 954 cas évités chez les hommes contre 2998 chez les femmes).
Ce travail de modélisation épidémiologique montre que des politiques efficaces de régulation des consommations d’alcools pourraient avoir des impacts importants sur la santé publique. Au-delà des cancers, l’abus d’alcool est un facteur de risque pour de nombreuses pathologies physiques et mentales, et cause d’accidents, et de violences à soi et à autrui. La diffusion d’informations générales est actuellement le principal outil utilisé par les autorités de santé publique pour sensibiliser aux dangers de la consommation d’alcool, et encourager l’adoption de comportements de consommation appropriés. Mais pour les experts en santé publique et les organisations internationales, la régulation publique des prix de l’alcool est un élément essentiel de toute politique de prévention. Les revues systématiques de la littérature empirique montrent que des hausses de prix ont un impact significativement négatif sur la consommation d’alcool et les dommages de santé associés, y compris sur les populations ayant une consommation élevée. Dans cette perspective, la fiscalité française des alcools est marquée par une déconnexion des enjeux sanitaires. Ainsi, si l’on considère que les risques santé de la consommation dépendent essentiellement du contenu en alcool pur des boissons, la charge fiscale pesant sur les vins est extrêmement faible, alors qu’ils représentent plus de 50% des volumes d’alcool pur vendus. A quand une réforme des politiques de prix des alcools ?
(1) Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bulletin Epidemiologique Hebdomadaire 2019 ; 97-108.
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Références
Titre original de l’article : Modelling the number of avoidable new cancer cases in France attributable to alcohol consumption by following official recommendations : a simulation study
Publié dans : Addiction. 2021 Sep ;116(9):2316-2325. doi : 10.1111/add.15426. Epub 2021 Feb 18. PMID : 33565659.
Disponible via : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33565659/
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* Membre de PSE