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Bernard Fortin, Nicolas Jacquemet* et Bruce Shearer

Cet article a été initialement publié dans l’édition d’avril 2021 des 5 articles…en 5 minutes.

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Le débat public sur l’offre de soins se concentre souvent sur les capacités du système de santé : le nombre de médecins et d’autres personnels soignants, le nombre d’établissements hospitaliers et de lits dans ces hôpitaux, etc. A ressources données, l’offre de soins peut cependant varier considérablement selon la manière dont la rémunération des personnels soignants est structurée.

Dans la plupart des pays industrialisés, la rémunération des médecins s’appuie soit sur le nombre d’heures (ou de jours) de travail, soit sur le volume d’actes réalisés. Chacun de ces modes de rémunération met l’accent sur une dimension différente de l’offre de soins : tandis que la rémunération du temps de travail tend à favoriser le temps passé auprès des patients, la rémunération à l’acte favorise quant à elle le volume de soins, ce qui peut cependant se faire au détriment du temps consacré à chacun des actes (1). Tant le volume de soins que la « qualité » de ces soins — qui résulte d’une plus grande attention portée à chaque patient — sont bien sûr des objectifs centraux des politiques publiques de santé. Il existe cependant peu d’études permettant de mesurer simultanément l’effet de différents modes de rémunération à la fois sur le volume de soins et sur le temps consacré à chaque patient, faute notamment de données suffisamment riches.

En 1999, le gouvernement du Québec a expérimenté un nouveau mode de rémunération pour les médecins spécialistes, la rémunération mixte, qui combine une rémunération journalière avec une rémunération partielle à l’acte afin d’établir un équilibre entre la qualité des soins et le volume des services médicaux. L’un des éléments centraux de cette réforme est que les médecins sont libres d’adopter le nouveau mode de rémunération ou de conserver le système existant de rémunération à l’acte. Ce caractère volontaire de la réforme permet aux médecins de sélectionner leur mode de rémunération en fonction du type de pratique qui leur convient le mieux. L’évaluation des effets de cette réforme sur les comportements de pratique des médecins spécialistes (2) confirme que les différents aspects de l’offre de soins réagissent fortement aux incitations appliquées aux médecins par l’intermédiaire du mode de rémunération : les médecins qui ont décidé d’adopter le nouveau système de rémunération mixte augmentent le temps moyen consacré à chaque service médical de 3,8%. Cette inflexion en faveur du temps consacré à chacun des actes se fait au prix d’une réduction du volume d’actes de 6,2%.

Ces résultats permettent de mesurer l’effet de la réforme qui a été mise en place au Québec sur les médecins qui l’ont adoptée, mais ils n’apportent que très peu d’informations utiles pour le pilotage de la politique de soins de santé dans d’autres contextes, ou fondés sur d’autres modulations de la rémunération à l’acte et de la rémunération horaire. Afin d’aller plus loin en termes de recommandation de politiques publiques, l’étude récente de Bernard Fortin, Nicolas Jacquemet et Bruce Shearer, utilise les données associées à la réforme pour mesurer les déterminants des décisions d’offre de soins des médecins. Ces estimations permettent non seulement d’évaluer plus finement les effets de la réforme en vigueur, mais ils permettent surtout d’envisager les conséquences de réformes alternatives, non encore observées. Les résultats montrent notamment qu’il aurait été possible d’obtenir une inflexion des comportements de pratique des médecins similaire à celle de la réforme mais à un coût plus faible, en choisissant un niveau moindre de rémunération journalière. Cette réforme alternative aurait permis d’améliorer la prise en charge des patients sans pour autant réduire le bien-être des médecins (par rapport au système de rémunération à l’acte traditionnel). Cette amélioration est rendue possible par le fait que la réforme initiale a conduit à une forte augmentation du revenu des médecins tout en leur permettant de choisir une pratique plus conforme à leurs préférences. La réduction du paiement journalier permet de contenir la hausse des rémunérations tout en préservant les avantages pour les praticiens de choisir plus librement leurs modalités de pratique.

(1) Voir Fortin B., Jacquemet N., Shearer B. (2008). Policy Analysis in the health-services market : accounting for quality and quantity. Annales d’Economie et de Statistiques, Vol.91-92, pp. 287-313. https://www.jstor.org/stable/27917249

(2) Dumont E., Fortin B., Jacquemet N., Shearer B. (2008). Physicians’ Multitasking and Incentives : Empirical Evidence from a Natural Experiment. Journal of Health Economics, Vol. 27(6), pp. 1436-1450. https://doi.org/10.1016/j.jhealeco.2008.07.010

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Références

Titre original de l’article : Labour Supply, Service Intensity and Contract Choice : Theory and Evidence on Physicians

Publié dans : Journal of Applied Econometrics

Disponible via :
https://www.researchgate.net/publication/349733194_Labour_Supply_Service_Intensity_and_Contracts_Theory_and_Evidence_on_Physicians

Crédits visuel : smolaw – Shutterstock

* Chercheur PSE